MORT DE LA GRANDE CITOYENNE
Des délégations de militants socialistes, républicains, syndicalistes, libre-penseurs, anarchistes, laïques, antimilitaristes… venues des Bouches du Rhône, du Var, du Vaucluse et des Basses Alpes.Le 11 janvier, bien avant l’heure fixée pour les funérailles, une foule immense se porte aux alentours de la maison mortuaire. Le boulevard Dugommier est noir de monde.
L’affluence est telle que la circulation des tramways est interrompue. Le cortège imposant des funérailles ne tarde pas à se former. Il s’ouvre par le drapeau de la Bourse du Travail et celui de l’Union des Chambres syndicales ouvrières.
Le cortège de plus d’un kilomètre de long sillonne la ville, « la foule, massée sur les trottoirs est de plus en plus considérable » pour arriver « vers 5 heures, à la tombée du jour sur l’esplanade du cimetière Saint-Pierre, littéralement noire de monde.
Le cortège pénètre dans le cimetière et gravit la petite colline couverte d’une magnifique pinède où se trouve la salle du dépôt. Il commence à faire nuit. Tout là-bas, derrière les montagnes violacées, le soleil jette une dernière lueur rouge qui vient mourir à travers les branches des pins.
Le spectacle offert par la nature en cet instant de deuil et de douleur, est saisissant. Devant une forêt de drapeaux rouges et un amas de couronnes, tour à tour, prennent la parole le docteur Flaissières, maire de Marseille, Lafaille, au nom de la Bourse du Travail, Santini, en italien, au nom des groupes révolutionnaires transalpins et Girault.
Louise Michel avait manifesté le désir de reposer au petit cimetière de Levallois-Perret, auprès de sa mère. Dès son décès une grande souscription a été lancée pour le transfert du corps et de grandes funérailles à Paris.
Le 21 janvier, sa dépouille est conduite jusqu’à la gare Saint-Charles, suivie par plusieurs milliers de personnes. Le cortège traverse à nouveau Marseille, jusqu’à la gare où « une foule immense avait déjà envahi les abords. Puis, « c’est entre deux haies de drapeaux que la bière est placée dans le fourgon. Après une prise de parole, le train démarre, tandis que l’Internationale s’élève.
Le 22 janvier, tôt le matin, les policiers investissent la gare de Lyon. L’armée et la police sont sur le pied de guerre, environ 10 000 hommes ont été mobilisés. Treize jours après sa mort, elle les faisait toujours trembler !
Un drapeau rouge est déposé sur le cercueil. Dans le hall de la gare, on entend « Vive la Commune ! » Puis, monte l’Internationale. La police essaie en vain d’interrompre le chant. Il y a là les anciens de la Commune, les rescapés des bagnes et de la déportation et tous ses camarades de combat. Un immense cortège de 120 000 personnes l’accompagne.
"Je sens monter la révolution"
Peu de temps avant sa mort, Louise avait acquis la conviction que la révolution viendrait de Russie, « au pays de Gorki et de Kropotkine, se passeront des événements grandioses. Je la sens monter, grandir, la révolution qui balaiera le tsar, et tous ces grands-ducs ».
Comme un clin d’œil de l’histoire, ce même 22 janvier 1905, à Saint-Pétersbourg, des milliers de manifestants marchaient sur le palais impérial pour réclamer du pain. Les soldats du tsar tiraient sur la foule, la révolution russe de 1905 débutait.
Raymond Bizot
Les derniers instants de Louise Michel, morte à Marseille le 9 janvier 1905 à Marseille.
Louise Michel, l'institutrice, la rationaliste, la franc-maçonne restera,
toute sa vie durant, littéralement fascinée par φ (le nombre d'or).
Journa l La Marseillaise
Les conférences que donnent Louise Michel la mènent à Nice pour deux réunions, les 28 et 30 décembre 1904, c’est là qu’elle tombe malade "mais n’en continua pas moins à poursuivre la série des réunions publiques qu’elle avait fait annoncer " : Draguignan, Barjols puis Oraison.
Là, le mal s’aggravant, Louise Michel, à bout de forces, fut obligée de rentrer à Marseille où elle arriva jeudi soir. Descendue à l’hôtel de l’Oasis, au boulevard Dugommier, elle s’alita aussitôt et le docteur Dufour appelé à son chevet, diagnostiqua une congestion pulmonaire double. Il fait appel au docteur Bertholet, de Toulon qui l’avait soignée de la même affection en février 1904. L’état de santé de la malade est jugé « fort inquiétant ». « Louise, comme l’appelaient simplement ses familiers, conservait toute sa lucidité d’esprit, même aux moments les plus critiques et la résistance qu’elle opposait au mal était vraiment surhumaine.
Le 9 janvier, vers 9 heures du soir, Louise Michel entrait définitivement en agonie. Elle rendit le dernier soupir à 10 heures un quart très exactement, sans souffrance, comme le flambeau qui lentement s’éteint.
Un incident répugnant
Le journal signale un incident répugnant : de nombreux agents de la Sûreté surveillaient l’hôtel, jusque dans les escaliers, à la porte même de la malade. Ses amis télégraphieront à Clemenceau « Louise Michel mourante - Attitude ignoble de la police », lui demandant d’intervenir pour faire cesser le brouhaha.
Toutes les persécutions subies - la prison, le bagne, la misère l’ont d’ailleurs suivie jusqu’à l’heure suprême : la police est demeurée en surveillance rigoureuse autour de la maison où la pauvre femme dépérissait d’heure en heure, osant aller jusqu’à épier ses hoquets d’agonie après avoir épié durant près de quarante années ses plus innocentes harangues de réunions publiques, et ne consentant à abandonner sa bonne garde qu’après avoir passé sa consigne à la Mort.
Louise Michel est sur son lit de mort, dans la modeste chambre d’hôtel où elle était descendue, à peine plus pâle qu’elle ne l’était vivante, le corps maigre et comme desséché perdu dans la blancheur des draps . Aussitôt le décès connu, dans la chambre sans le décor d’aucun apparat funèbre où seules des fleurs rouges seront déposées entre ses mains, et jusqu’aux obsèques, ce sera un « défilé ininterrompu, attestant éloquemment quelles profondes et cordiales sympathies possédait Louise Michel dans le prolétariat et chez le peuple pour qui elle se dévoua durant toute sa vie.
"...J’avais remarqué que monsieur le maître, rien que par la façon dont il posait un problème, provoquait la réponse. — Il vous mettait ce qui s’appelle le nez dessus.
L’opération faite au tableau noir sous le souffle du vieux calculateur, qui du bout de sa longue baguette de coudrier indiquait la place des chiffres, avait quelque chose de la vision : l’œil gardait l’ample dessin des nombres et il me semblait que ces questions-là, énoncées par lui, avaient un rythme.
J’avais raconté cela à mon grand-père, si bien qu’un soir je l’entendis causer avec monsieur le maître de tant de choses, si loin de mes pauvres petits problèmes, que je les aurais bien écoutés ainsi pendant toute l’éternité. Ce jour-là je découvris que monsieur le maître avait tout simplement le génie des nombres et qu’il était, en outre, un grand astronome et un barde. Je reconnus aussi que l’algèbre est plus facile que l’arithmétique...." Extrait des Mémoires de Louise Michel, écrits par elle-même