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L'ANIMALISTE

 

J’aurais voulu que l’animal se vengeât, que le chien mordît celui qui l’assommait de coups, que le cheval saignant sous le fouet renversât son bourreau ; mais toujours la bête muette subit son sort avec la résignation des races domptées. — Quelle pitié que la bête !

Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants, cherchant à s’enfouir sous la terre, jusqu’à l’oie dont on cloue les pattes, jusqu’au cheval qu’on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l’homme.

Et plus l’homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent.

 

Des cruautés que l’on voit dans les campagnes commettre sur les animaux, de l’aspect horrible de leur condition, date avec ma pitié pour eux la compréhension des crimes de la force.

C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux ! Cette réflexion ne pouvait manquer de me venir. Pardonnez-moi, mes chers amis des provinces, si je m’appesantis sur les souffrances endurées chez vous par les animaux.

Dans le rude labeur qui vous courbe sur la terre marâtre, vous souffrez tant vous-mêmes que le dédain arrive pour toutes les souffrances.

Cela finira-t-il jamais ?

Les paysans ont la triste coutume de donner de petits animaux pour jouets à leurs enfants. On voit sur le seuil des portes, au printemps, au milieu des foins ou des blés coupés en été, de pauvres petits oiseaux ouvrant le bec à des mioches de deux ou trois ans qui y fourrent innocemment de la terre ; ils suspendent l’oiselet par une patte pour le faire voler, regardent s’agiter ses petites ailes sans plumes.

D’autres fois ce sont de jeunes chiens, de jeunes chats que l’enfant traîne comme des voitures, sur les cailloux ou dans les ruisseaux. Quand la bête mord le père l’écrase sous son sabot.

Tout cela se fait sans y songer ; le labeur écrase les parents, le sort les tient comme l’enfant tient la bête. Les êtres, d’un bout à l’autre du globe (des globes peut-être !), gémissent dans l’engrenage : partout le fort étrangle le faible. Étant enfant, je fis bien des sauvetages d’animaux ; ils étaient nombreux à la maison, peu importait d’ajouter à la ménagerie. Les nids d’alouette ou de linotte me vinrent d’abord par échanges, puis les enfants comprirent que j’élevais ces petites bêtes ; cela les amusa eux-mêmes, et on me les donnait de bonne volonté. Les enfants sont bien moins cruels qu’on ne pense ; on ne se donne pas la peine de leur faire comprendre, voilà tout.

« Je reviens aux duretés de l’homme pour l’animal. […] Les pauvres bêtes ne pouvant ni vivre ni mourir cherchent à s’ensevelir sous la poussière ou dans des coins de fumier ; on voit, au grand soleil, briller comme un reproche leurs yeux devenus énormes et toujours doux. Les couvées d’oiseaux sont pour les enfants qui les torturent ; s’ils échappent, les raquettes sont tendues à l’automne, le long des sentiers du bois ; ils y meurent, pris par une patte et voletants, désespérés jusqu’à la fin. Et les vieux chiens, les vieux chats, j’en ai vu jeter aux écrevisses. Si la femme qui jetait la bête était tombée dans le trou, je ne lui aurais pas tendu la main. J’ai vu, depuis, les travailleurs des champs traités comme des bêtes et ceux des villes mourir de faim ; j’ai vu pleuvoir les balles sur les foules désarmées.

J’ai vu les cavaliers défoncer les rassemblements avec les poitrines de leurs chevaux ; la bête, meilleure que l’homme, lève les pieds de peur d’écraser, fonce à regret sous les coups. »

Louise Michel - Mémoires - La cruauté contre les bêtes

Quelle paix dans cette demeure et dans ma vie à cette époque !

 

L’été, la ruine s’emplissait d’oiseaux, entrant par les fenêtres. Les hirondelles venaient reprendre leurs nids ; les moineaux frappaient aux vitres et des alouettes privées s’égosillaient bravement avec nous (se taisant quand on passait en mode mineur).

Les oiseaux n’étaient pas les seuls commensaux des chiens et des chats ; il y eut des perdrix, une tortue, un chevreuil, des sangliers, un loup, des chouettes, des chauves-souris, des nichées de lièvres orphelins, élevés à la cuillère, — toute une ménagerie, — sans oublier le poulain Zéphir et son aïeule Brouska dont on ne comptait plus l’âge, et qui entrait de plain-pied dans les salles pour prendre du pain ou du sucre dans les mains qui lui plaisaient, et montrer aux gens qui ne lui convenaient pas ses grandes dents jaunes, comme si elle leur eût ri au nez.

Louise Michel - Mémoires - L'origine de ma pitié pour les animaux.

lI m’arrive souvent, en remontant à l’origine de certaines choses, de trouver une forte sensation que j’éprouve encore telle à travers les années.

Ainsi, la vue d’une oie décapitée qui marchait le cou sanglant et levé, raide avec la plaie rouge où la tête manquait ; une oie blanche, avec des gouttes de sang sur les plumes, marchant comme ivre tandis qu’à terre gisait la tête, les yeux fermés, jetée dans un coin, eut pour moi des conséquences multiples.

J’étais sans doute bien petite, car Manette me tenait par la main pour traverser le vestibule comme pour faire un voyage.

Il m’eût été impossible alors de raisonner cette impression, mais je la retrouve au fond de ma pitié pour les animaux, puis au fond de mon horreur pour la peine de mort.

Quelques années après, on exécuta un parricide dans un village voisin ; à l’heure où il devait mourir, la sensation d’horreur que j’éprouvais pour le supplice de l’homme se mêlait au ressouvenir du supplice de l’oie.

Un autre effet encore de cette impression d’enfant fut que jusqu’à l’âge de huit à dix ans, l’aspect de la viande me soulevait le coeur ; il fallu pour vaincre le dégoût une grande volonté et le raisonnement de ma grand mère, que j’aurais de trop grandes émotions dans la vie, pour me laisser aller à cette singularité.

C'est que tout va ensemble, depuis l'oiseau dont on écrase la couvée jusqu'aux nids humains décimés par la guerre.

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La vieille Biche avait une habitude assez drôle : si je tenais un bouquet, elle se l’offrait, et me passait sa langue sur le visage.

Et les vaches ? la grande Blanche Bioné, les deux jeunes Bella et Néra, avec qui j’allais causer dans l’étable, et qui me répondaient à leur manière en me regardant de leurs yeux rêveurs.

Toutes ces bêtes vivaient en bonne intelligence ; les chats couchés en rond suivaient négligemment du regard les oiseaux, les perdrix, les cailles trottinant à terre.

Derrière la tapisserie verte, toute trouée, qui couvrait les murs, circulaient des souris, avec de petits cris, rapides mais non effrayés ; jamais je ne vis un chat se déranger pour les troubler dans leurs pérégrinations.

Du reste les souris se conduisaient parfaitement, ne rongeant jamais les cahiers ni les livres, n’ayant jamais mis la dent aux violons, guitares, violoncelles qui traînaient partout.

"Si pas maintenant, quand ?"
RTBF Pascale SEYS

Louise Michel établit alors une relation de cause à effet entre l’oppression des animaux par les sociétés humaines et les rapports de domination au sein de ces dernières.

Claude Rétat, Directrice de recherche au CNRS (Centre d’étude de la langue et des littératures françaises, CNRS / Sorbonne Université)

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