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L'ANARCHISTE

JUIN 1883, JUGEE PAR LA COUR D'ASSISES DE LA SEINE

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Le 9 novembre, le paquebot à roues venant de Newhaven, accoste à Dieppe. Louise Michel retrouve la France accueillie par une foule sur le quai Henri IV, parmi laquelle son amie Nathalie Le Mel, revenue avant elle de Nouméa, et un comité d’accueil dieppois au sein duquel se trouve Louis Detré, imprimeur à "l’Impartial", Mékerke, tailleur, Gustave renard, ivoirier. Après les paroles de bienvenue, un bol de bouillon est offert dans un café, puis le cortège part l’accompagner à la gare où elle embarque dans le train de Paris qui arrive à la Gare St Lazare à midi. Un accueil triomphant. Malgré les barrages, policiers, c’est une foule immense, compacte et chaleureuse qui se presse aux alentours de la gare.


« Elle arrive ! Elle arrive ! Vive Louise Michel ! Vive la Commune !

À bas les assassins ! »


Sur le quai, Georges Clemenceau, Henri Rochefort, Eugène Pottier, Frédéric Cournet, Charles Longuet ou Jules Vallès, tous membres de la Commune retrouvent leur amie à la descente du train. Louis Andrieu relata ainsi l’événement : « Depuis longtemps attendue par ses amis politiques, la Vierge Rouge descendit à la gare St Lazare, accompagnée de cinq ou six amnistiés. Groupés dans la rue d’Amsterdam et sur la place du Havre, vingt milles parisiens et parisiennes la saluèrent par des cris répétés. Henri Rochefort, après l’avoir embrassée, lui donna le bras pour sortir de la gare. Pendant les cinquante mètres qu’elle dut parcourir pour gagner la voiture qui l’attendait au coin de la rue de Londres, celle qu’on appelait « la grande citoyenne » fut l’objet d’une ovation enthousiaste ».

Et n’attendait qu’une femme : Louise Michel. (Extrait du journal "La Justice", quotidien fondé par le républicain radical Georges Clemenceau. Première parution le 13 janvier 1880).

Le « Tout-Paris des grandes journées, des grandes émotions populaires […] le Paris qui, même au milieu des hontes et des apostasies de l’Empire garda, intacte, sa foi à la République, le Paris pour lequel on est fier d’avoir souffert, ce Paris-là était sur pied ».

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A bord du "Virginie",  pendant le long voyage de 4 mois qui la menait en Nouvelle-Calédonie , Louise Michel fit connaissance de Henri Rochefort, célèbre polémiste, et de Nathalie Lemel, elle aussi grande animatrice de la Commune. Lorsqu'il a été question de séparer le lieu de déportation des femmes de celui des hommes, elles s'y opposèrent fermement. Elles seront alors débarquées cinq jours après les hommes, (le 14 décembre 1873, sur la presqu'île Ducos, lieu de la déportation en enceinte fortifiée où elles partageront la même cabane). Il est vraisemblable que Nathalie Lemel ait eu pendant le "voyage" puis lors de leur cohabitation, une certaine influence intellectuelle sur sa codétenue.

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« J'ai raconté bien des fois comment pendant le voyage de Calédonie je devins anarchiste ». Louise Michel raconte comment, l'isolement des enfermements successifs — « sans communications avec le dehors (….) nous étions seules avec l'idée » et le transport vers l'exil ont alimenté, grandi  puis libéré une flamme ardente qui préexistait chez elle. La traversée, dans le souvenir de Louise Michel, devint un temps d'ancrage de sa pensée politique. Louise Michel va littéralement embrassé la cause anarchiste, prête à tout lui sacrifier.

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Ayant refusé de bénéficier d’un autre régime que celui des hommes ou d'une grâce individuelle, Il faut attendre 1879 pour que la déportation close de Louise Michel soit commuée en déportation simple ; ce qui lui permet  de partir enseigner à Nouméa. Elle  vivra son bannissement, non pas comme une punition mais comme une nouvelle aventure à vivre pleinement.

Le 14 juillet 1880 la République accorde la grâce à tous les condamné-e-s. Pour autant, le retour n'est pas immédiat, car chaque déporté doit payer son voyage. Louise Michel part donc à Sydney où elle enseigne pour gagner un peu d’argent afin de pouvoir repartir pour l’Europe. Quelques mois plus tard elle embarque pour Londres puis Paris ; une fois encore sa vie prend un nouveau tournant.

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Deux mois après son retour, Louise Michel commence à faire publier son ouvrage "La Misère" sous forme de roman feuilleton, qui remporte un vif succès. Sa détestation de l'armée, fait qu'elle ne prend d'abord que modérément part à l’agitation provoquée par l’affaire Dreyfus. Mais devant les mensonges de la hiérarchie militaire, elle prend fait et cause pour Dreyfus, ce qui la fâche avec son ami Rochefort qui, lui, de par son éducation et ses origines, est dans le camp des anti-Dreyfusard.

Pour Louise Michel "Un anarchiste ne peut rester indifférent à une injustice quelle qu’elle soit et quelle qu’en soit la victime".

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Louise Michel entre pleinement en "Anarchie", lors de sa déportation en Nouvelle-Calédonie

Son nouvel engagement anarchiste se concrétise rapidement dans l'action

Le pouvoir est maudit, c'est pour cela que je suis anarchiste !

La tâche des instituteurs est de donner au peuple, les moyens intellectueles de se révolter ! 

la Révolution sera la floraison de l’humanité, comme l’amour est la floraison du cœur !

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C’est pendant les trois derniers jours de cette semaine que doivent avoir lieu, ainsi que nous l’avons annoncé, les débats du procès de Louise Michel et de ses huit coaccusés. L’affaire figure sur le rôle pour les s audiences des 21 ,22 et 23 juin.
Voici la liste complète des inculpés, dont nous avons d’ailleurs déjà donné les noms nous y ajoutons seulement aujourd’hui l’indication de leur âge, lieu d’origine, profession et domicile :


1° Louise Michel, née à Vronconrt, arrondissement de Chaumont (Haut.-Marne), le 29 mai 1830 ou 1836*, femme de lettres, demeurant boulevard Barbes, 45, détenue.


2° Jean-Joseph-Emile Pouget, né à Pont-de-Salars, arrondissement de Rodez (Aveyron), le 12 octobre 1860, courtier en librairie, demeurant rue de Bretagne, 31, détenu.


3° Eugène Mareuil, né à Rompsay, arrondissement de la Rochelle (Charente-Inférieure) le 21 février 1859, cordonnier, demeurant rue Saint-Sébastien 18, détenu.


4° Léon Justin Thiéry, né à Flavigny-le Grand, arrondissement de Vervins (Aisne), le 18 février 1853, courtier de commerce, demeurant à Reims, rue Gambetta, 42, libre.


5° Jacques- Adolphe Moreau, dit Gareau. né à Brioux, arrondissement de Melle (Deux-Sèvres), le 1er novembre 1859 ou 1860**, typographe, demeurant à Troyes, rue de la Cité, libre.


6° Marie-Paul-Ange Martinet, né à Bougie (Algérie) le 22 mai 1857. bonnetier, demeurant à Troyes, rue Saint-Vincent-de Paul. 44 bis


7° Henri Gérosine Enfroy, né à Arcis sur-Aube (Aube), demeurant à Troyes, rue Gambey, 18, en fuite


8° Claude Gorget, né à Riorges, arrondissement de Roanne (Loire), le 22 février 1852, jardinier, demeurant à Roanne, en fuite.


9° Femme Bouillet, Marie-Anne Lacroix, née à Lyon (Rhône), le 24 juillet 1831, cabaretière, demeurant à Roanne (Loire), libre.


Louise Michel, Pouget et Mareuil ont été depuis quelques jours transférés à la Conciergerie, où ils ont été Interrogés par M. le conseiller Ramé, qui doit présider les assises.


Nous sommes en mesure de préciser dès aujourd’hui les points sur lesquels porteront les débats, c’est-à-dire les charges relevées à l’encontre des accusés.


Et d’abord. le procès comprend en réalité deux affaires distinctes l’une de l’autre au point de vue du moins de l’inculpation, mais qui ont été jointes à raison de certaines circonstances que nous ferons connaître tout à l’heure. Louise Michel, Pouget et Mareuil sont seuls, eu effet, poursuivis pour des faits se rattachant directement à la manifestation du 9 mars.

Ils comparaîtront sous l’inculpation commune d’instigation au pillage de pains par bande et à force ouverte. Mais Pouget et Mareuil auront de plus à répondre d’outrages par paroles a des agents de là force publique. Pouget est même provenu de détention sans autorisation d’engins meurtriers ou incendiaires.


Quant aux six derniers accusés, les uns sont inculpés de provocation directe au meurtre et à l’incendie et de provocation à des militaires dans le but de les détourner de leurs devoirs, les autres sont poursuivis simplement comme complices de ces crimes. Pareille complicité est également reprochée à Pouget, qui par conséquent, à ne considérer que les chefs d’accusation se trouve le plus compromis.
L’instigation au pillage de pains par bande et à force ouverte résulterait, d’après l’information, des faits suivants :


Lorsque, le 9 mars, vers trois heures de l’après-midi, la police eut repoussé les manifestants et dégagé l’esplanade des Invalides; une bande de cinq ou six cents personnes, à la tête de laquelle se trouvait Louise Michel, que Pouget et Mareuil tenaient chacun par un bras, parcourut en se retirant une partie du boulevard Saint-Germain.
Rue des Canettes, une vingtaine de manifestants se détachèrent de la bande et envahirent la boulangerie Bouché, en criant : « Du pain, du travail ou du plomb ! ».

Le boulanger fut même menacé par cinq ou six d’entre eux, qui étaient armés de cannes plombées. Cependant ou ne lui fit pas de mal. Les pillards se contentèrent de prendre les pains et de les jeter a leurs camarades restés dans la rue.


Après quoi, ils se retirèrent. Une vitre fut brisée dans la bagarre.
Rue du Four-Saint Germain, n° 13, la même scène se produisit chez Mme Augereau, boulangère. Seulement on brisa quelques vitres de plus, ainsi que les assiettes qui contenaient les gâteaux dérobés en même temps que les pains.
Enfin, devant la boulangerie de Mme Moricet, boulevard Saint Germain, 125, nouvel arrêt de la bande et nouvelle invasion.


Les envahisseurs criaient : Du travail et du pain !
La dame Moricet s’empressa de couper des morceaux de pain et de leur offrir, mais elle ne put préserver sa boutique du pillage. Pains et gâteaux tout fut emporté, et les assiettes furent brisées.
Or, l’information croit avoir établi que le signal du pillage a été donne par Louise Michel et ses deux acolytes.

On sait qu’elle portait un drapeau noir. C’est en frappant la terre avec la hampe de ce drapeau et en disant « Allez ! » qu’elle aurait ordonné l’invasion de le la boulangerie Augereau.


Quant à la boulangerie Moricet au dire Mme Moricet elle même, elle n’aurait été également envahie que sur le signal de Louise Michel, qui, s’étant écartée de Pouget et de Mareuil, aurait agité puis posé à terre, la hampe de son drapeau, et se serait mise à rire en regardant du côté de la boutique.


Quoi qu’il en soit, l’officier de paix du poste central de la place Saint-Sulpice n’atteignit la bande, à la poursuite de laquelle il s’était mis avec ses agents. que sur la place Maubert. Il essaya d’arrêter Louise Michel, mais Pouget se jeta en avant, la foule entoura les agents, en criant : « Enlevez la police ! Vive la Révolution Tuez Vidocq ! » et Louise Michel put s’esquiver. Pouget et Mareuil cependant purent être maintenus en état d’arrestation.
L’un et l’autre avaient poussé les cris les plus injurieux, contre la police.

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Pendant la bagarre, le drapeau noir, « le drapeau noir des grèves », pour employer l’expression même de Louise Michel, abandonné par celle-ci, avait passé de main en main, et les agents ne purent s’en emparer qu’à grand peine.
 

L’un d'eux, reçut même, en essayant de l’arracher à un manifestant, un violent coup de canne sur la nuque, qui l’étourdit complètement. L’arrestation de Pouget, qui, par parenthèse, fut trouvé porteur d’un revolver à six coups chargé et de 74 francs en pièces d’argent, eut des conséquences absolument inattendues.

 

Dans la journée du 11 mars, deux jours après le meeting des Invalides et à la veille de celui de l’Hôlel-de-Ville, plusieurs exemplaires d’une brochure intitulée "A l’armée ! " étaient trouvés dans les trois quartiers d’infanterie de Reims.

 

La veille au soir, un inconnu en avait remis deux à un caporal et a un soldat du 132e de ligne.A Troyes, dans la nuit du 10 au 11, douze exemplaires de la même brochure étaient ramassés dans la cour de la caserne d’infanterie par un adjudant de service.

A Roanne, enfin, un soldat du 98° de ligne en recevait un, dans la soirée du 10, des mains d’un individu qu’il ne connaissait pas.

Cet appel à l’armée commençait par ces mots : « Soldats ! n’oubliez pas que vous étiez hier parmi les prolétaires et que vous y rentrerez demain ! ».

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Pour eu faire connaître l’esprit, il nous suffira, du reste, de citer le passage suivant :

Moyen à employer par les soldats décidés à aider la Révolution, quel que soit leur nombre : « A la première nouvelle de l’insurrection, chaque soldat révolutionnaire devra incendier la caserne où il se trouvera. Il devra mettre le feu aux paillasses, en ayant préalablement le soin d’en vider une pour donner plus de prise à l’incendie. Pour mettre le feu, il pourra se servir d’un mélange de potasse et d’alcool.Au milieu de la confusion qui se produira nécessairement dès que l’incendie se sera propagé, il faudra pousser à la révolte et frapper impitoyablement les officiers jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul debout ».

Et la brochure se terminait par cette phrase : « Soyez sans pitié envers ceux qui, pour satisfaire des ambitions criminelles, précipitent la France dans des déchirements épouvantables ».

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Malgré les recherches les plus actives, peut-être ne serait-on pas arrivé à découvrir les auteurs de ces distributions si l’on n’avait trouvé sur Pouget sept récépissés de colis postaux, adressés précisément à Reims, Troyes, Roanne, Vienne, Amiens, Bordeaux et Marseille.Le destinataire de Vienne n’avait pu recevoir 1’envoi, pour l’excellente raison qu’il purge en ce moment une condamnation à quatre mois de prison prononcée contre lui par le tribunal de Lyon pour affiliation à l’Internationale.

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La justice fit saisir le colis, et l’on constata qu’il contenait 93 brochures : "A l’armée !"

A Reims, une perquisition pratiquée au domicile du destinataire, Thiéry, n’amena la découverte d’aucune brochure; mais, maigre les dénégations de Pouget et de Thiéry, qui affirment que le colis ne contenait que des exemplaires d’un manifeste intitulé : La Première des Anarchistes aux travailleurs ; les Anarchistes et l’Internationale, le parquet pensa et continue à penser que les brochures trouvées dans les quartiers d’infanterie, n’avaient pu être reçues que par Thiéry, après avoir été envoyées par Pouget.

 

Le destinataire de Troyes, Enfroy, avait encore chez lui, au moment où la police s’y transporta, un exemplaire de la brochure, et l’information aurait de plus établi qu’il avait embauché pour la distribution des exemplaires expédiés par Pouget ses camarades Moreau, dit Gareau, et Martinet, aujourd’hui poursuivis comme complices.C’est la femme Bouillet, cabaretière, qui aurait, à Roanne, reçu le colis ; l’individu qui a remis un exemplaire de la brochure au soldat Girard, du 96e de ligue, ne serait autre que Gorget.

 

On n’a constaté à Amiens, à Bordeaux et à Marseille, aucun fait de distribution. Toutes ces brochures, cela paraît démontré à l’accusation, ont été expédiées par Pouget, qui, du reste, avait pris pour faire ces divers envois le faux nom de Martin.

C’est même, ainsi que l’indique la date des récépissés, dans la matinée du 9 mars que ces envois ont été faits.

Au surplus, on a trouvé 600 exemplaires de ces mêmes brochures, au domicile de Pouget, le soir de son arrestation, et deux lettres ont été ultérieurement saisies qui en ont fait connaître la provenance.

 

C’est un certain Herzig, de Genève, avec lequel Pouget était depuis longtemps eu correspondance, qui les lui avait adressées.

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Cette coïncidence de l’envoi des brochures en province avec la manifestation du 9 mars n’a pas paru fortuite à l’accusation elle pense, au contraire, qu’il y avait entre le mouvement qui se produisait à Paris et les faits de distribution une étroite connexité. Les meneurs espéraient, sans doute que, grâce à cette propagande, l’agitation qu’ils commençaient a Paris s’étendrait en province.

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De là, la jonction des poursuites. Ajoutons qu’on a trouva chez Pouget, qui est représenté comme un anarchiste des plus actifs, outre de nombreux journaux et brochures anarchistes, trois limes aiguisées en forme de poignard, des capsules de fulminate de mercure pareilles a celles dont on se sert pour faire partir des cartouches de dynamite; des fioles contenant une solution de phosphate dans un mélange de pétrole léger et de sulfure de carbone, et plusieurs autres engins incendiaires.

 

Pouget sera défendu par Me Etienne Pierre, Mareuil, par Me Lenoël Zévort, et Thiéry, par Me Laguerre.

On sait que Louise Michel voulait se défendre elle-même, mais que M. le président Ramé, pour se conformer à la loi, a dû lui désigner d’office un défenseur. C’est à Me Balandreau. secrétaire de Me Gatineau, qu’incombera la tâche de combattre l’accusation en ce qui la concerne.

On ne connaît pas encore le nom des défenseurs de ceux des autres accusés qui ne sont pas en fuite.M. l’avocat général Quesnay de Beaurepaire occupera le siège du ministère public.

 

P.-S. La Bataille, dit ce malin, que la citoyenne Louise Michel lui fait remettre la note suivante : Le procureur général trouvant inutile d’assigner mes témoins, parce que « le revolver trouvé sur Pouget est du calibre permis », je suis obligée de les assigner moi même, par huissier.

Il ne s’agit pas pour moi que le revolver soit de tel ou tel calibre; mais je ne souffrirait pas qu’un autre accusé prenne sur lui une chose, quelle qu’elle soit, qui m’appartient.

-Louise Michel-

 

On sait que les journaux socialistes disent, qu’il y a lutte de générosité entre Pouget et Louise Michel, qui prétendent tous deux avoir été possesseurs du revolver en question.

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(Sources : Gallica)

Le 9 mars 1883, la charge est donnée contre les "sans travail"

                                                   Voilà pourquoi je suis anarchiste !

«Durant quatre mois, nous ne vîmes rien que le ciel et l’eau, avec parfois, à l’horizon, la voile blanche d’un navire pareille à une aile d’oiseau. Cette impression de l’étendue était saisissante.
Là, nous avions tout le temps de penser.
Eh bien, à force de comparer les choses, les événements, les hommes, ayant vu à l’œuvre nos amis de la Commune si honnêtes qu’en craignant d’être terribles ils ne furent énergiques que pour jeter leur vie, j’en vins rapidement à être convaincue que les honnêtes gens au pouvoir y seront aussi incapables que les malhonnêtes seront nuisibles, et qu’il est impossible que jamais la liberté s’allie avec un pouvoir quelconque.
Je sentis qu’une révolution prenant un gouvernement quelconque n’était qu’un trompe-l’œil ne pouvant que marquer le pas, et non ouvrir toutes les portes au progrès ; que les institutions du passé, qui semblaient disparaître, restaient en changeant de nom, que tout est rivé à des chaînes dans le vieux monde et qu’il est ainsi un bloc destiné à disparaître tout entier pour faire place au monde nouveau heureux et libre sous le ciel.
Je vis que les lois d’attraction qui emportent sans fin les sphères sans nombre vers des soleils nouveaux entre les deux éternités du passé et de l’avenir devaient aussi présider aux destins des êtres dans le progrès éternel qui les attire vers un idéal vrai, grandissant toujours. Je suis donc anarchiste parce que l’anarchie seule fera le bonheur de l’humanité, et parce que l’idée la plus haute qui puisse être saisie par l’intelligence humaine est l’anarchie, en attendant qu’un summum soit à l’horizon.
Car, à mesure que passeront les âges, des progrès encore inconnus se succéderont. N’est-il pas à la connaissance de tous que ce qui semble utopie à une ou deux générations se réalise à la troisième ?
L’anarchie seule peut rendre l’homme conscient, puisqu’elle seule le fera libre ; elle sera donc la séparation complète entre les troupeaux d’esclaves et l’humanité. Pour tout homme arrivant au pouvoir, l’Etat c’est lui, il le considère comme le chien regarde l’os qu’il ronge, et c’est pour lui qu’il le défend.
Si le pouvoir rend féroce, égoïste et cruel, la servitude dégrade ; l’anarchie sera donc la fin des horribles misères dans lesquelles a toujours gémi la race humaine ; elle seule ne sera pas un recommencement de souffrances et, de plus en plus, elle attire les cœurs trempés pour le combat de justice et de vérité.
L’humanité veut vivre et s’attachera à l’anarchie dans la lutte du désespoir qu’elle engagera pour sortir de l’abîme, c’est l’âpre montée du rocher ; toute autre idée ressemble aux pierres croulantes et aux touffes d’herbe qu’on arrache en retombant plus profondément, et il faut combattre non seulement avec courage, mais avec logique, et il est temps que l’idéal réel plus grand et plus beau que toutes les fictions qui l’ont précédé se montre assez largement pour que les masses déshéritées n’arrosent plus de leur sang des chimères décevantes.
Voilà pourquoi je suis anarchiste. »

Voici comment le journal le Temps relate le procès

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Une fois le verdict prononcé, Louise réintégra sa cellule à la prison de Saint-Lazare avant d’être transférée à la centrale de Clermont de l’Oise le 15 juillet 1883. Sur place, sa seule préoccupation fut sa mère. À distance, elle essaya de résoudre les problèmes et finit par obtenir l’autorisation d’aller voir sa mère malade à Paris. Elle put ainsi rester à son chevet avec Clemenceau, accompagnée d’agents de police, du 12 décembre 1884 au 3 janvier 1885, date du décès de Marie-Anne Michel.  

                     

                                    Non autorisée à assister aux obsèques, elle s’en retourna en prison, la mort dans l’âme.

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Le 14 août 1886, elle fut de nouveau condamnée à quatre mois de prison pour son discours lors un meeting de soutien aux mineurs de Decazeville, en compagnie de Jules Guesde, Paul Lafargue et Susini. En novembre, elle bénéficia d’une remise de peine. Courant toujours de réunions en meetings, elle échappa miraculeusement à un attentat, le 22 janvier 1888 au Havre. Intercédant en faveur de son agresseur qui lui avait tiré dessus à bout portant, elle fit en sorte que ce dernier ne fut pas condamné mais reconnu comme irresponsable pénalement au moment des faits.

En 1890, elle se joignit à la campagne de propagande internationale en vue de la préparation du 1er mai. Elle intervint à Reims, Lyon et Vienne (Isère) où, le 29 avril, elle prononça un discours appelant à la révolte qui effraya les autorités. Un mandat d’amener fut donc lancé contre elle et Alexandre Tennevin déjà repartis par le train pour Paris.

Accusés de « provocation directe par discours proférés dans les réunions publiques à des actions de crimes et délits », Louise Michel et son compagnon furent appelés à comparaître en Cour d’assises. Cependant, une mise en liberté provisoire fut ordonnée à l’endroit exclusif de Louise Michel, qui, à son habitude, refusa de bénéficier d’un traitement de faveur.

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Le 31 mai, elle fut officiellement informée de sa libération sur un non-lieu, alors que les prévenus de Saint-Étienne restaient en prison (voir Pierre Martin). Elle cassa alors tout dans sa cellule. Un médecin appelé d’urgence stipula que Louise Michel est « atteinte de délire de persécution » et préconisa son internement. Malgré les certificats médicaux, qui l’auraient fait tomber sous le régime du placement d’office, elle ne fut finalement pas internée. Le ministre de l’Intérieur ordonna donc sa libération. Elle quitta l’hôpital le 4 juin en direction de Paris où, depuis une semaine, tous les journaux se passionnèrent quotidiennement pour sa mésaventure. Après de multiples déclarations, elle entama une nouvelle tournée de conférences intitulées « Note d’une irresponsable ».

 

Suite à cet événement, elle se décida à quitter la France et s’installa parmi les proscrits européens à Londres. Sur place, elle participa à la création d’une école, fit des conférences avec Kropotkine et Malatesta en 1895 ; elle écrivit et fit également de nombreux allers-retours pour des tournées de conférences et de meetings en France (en 1895 et 1896 avec Sébastien Faure), aux Pays-Bas, en Belgique dont elle fut expulsée. Elle projeta d’aller aux États-Unis, participa au Congrès international socialiste de Londres en juillet 1896 (voir Fernand Pelloutier), elle rencontra aussi durant cette période de jeunes militants dont Emma Goldman qu’elle recommanda à des amis à Paris ; elle soutint, après hésitations, la cause des attentats individualistes en France puis prit fait et cause pour le capitaine Dreyfus.

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Les lieux d'emprisonnement de Louise Michel

Louise a 40 ans lorsqu'elle écope de sa première condamnation. Entre 1870 et 1890, elle sera privée de liberté pendant quasiment 13 années. Procès, déportation, incarcération, prison jalonnent une vie d'engagement total.

Louise Michel dans sa cellule. Une toile d'Anne-Marie Lansiaux 1953
Musée d'art et d'histoire de Saint Denis
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