ELLE PRENDRA FAIT ET CAUSE POUR LES KANAKS CONTRE LES COLONS
L'ETHNOLOGUE
Moulage de la tête du chef Ataï,
leader de la révolte kanak de 1878
Dès son arrivée à la presqu’île Ducos, Louise Michel s’intéresse à la langue et à la culture kanak. Elle voit dans leur révolte un mouvement contre l’oppression.
Elle fait porter à Ataï un morceau de son écharpe rouge de la Commune, en signe de solidarité..
Buste de Louise Michel sur sa tombe à Levallois-Perret
Une délégation kanak, venue se recueillir sur la tombe de "l'amie des malheureux", a déposé autour de son cou un collier de coquillages de Nouvelle-Calédonie...Toute une symbolique ! (Comme le pendant à l'écharpe rouge que je me suis permis d'ajouter autour du cou du chef Ataï).
Si incontestablement Louise a bien offert moitié de son écharpe rouge au Chef Ataï, pour autant le lien avec les foulards rouges
(couleur traditionnelle du district de Guahma) portés par les jeunes militants du LKS dans les années 70 ne semble pas établi
Eux aussi luttaient pour leur indépendance, pour leur vie, pour la liberté. Moi, je suis avec eux, comme j’étais avec le peuple de Paris, révolté, écrasé et vaincu,
Louise Michel se découvre une grand proximité avec le peuple Kanak
Décembre1873 : c’est à bord de La Virginie, vieille frégate à voile reconvertie en « bateau-cage » pour le transport des bagnards, que les proscrits de la Commune de Paris atteignent la Nouvelle-Calédonie. Cela fait tout juste vingt ans que le « Caillou » a été officiellement intégré à l’Empire colonial français et sert de prison à ciel ouvert pour des insurgés venus du bout du monde. Outre les révoltés parisiens, on y croise également une poignée de rebelles kabyles rescapés de la féroce répression de 1872.
Démoralisés, livrés à eux-mêmes et ruminant leur échec, les communards vivent en vase clos. Rares sont ceux qui s’intéressent au sort des indigènes, ces Kanak qui refusent pourtant, les armes à la main, de se soumettre à l’ordre colonial.
Louise Michel sera de ceux-là. Ancienne institutrice, elle reprend du service au sein de la communauté des déportés. Mais très vite, elle se découvre une proximité avec le peuple kanak, faisant l’effort d’apprendre sa langue et s’ouvrant à sa culture et ses traditions (elle publiera un recueil de contes et légendes kanak à la suite de son séjour. Fidèle à sa devise d’ « apprendre toujours et de partager ce savoir », partageant leur révolte dans un même élan de résistance et d’espérance, elle devient à la fois leur élève et leur enseignante – ce qui lui vaudra, selon la légende, une relégation au « quartier des Incorrigibles. » Elle raconte dans ses Mémoires comment elle enseignait aux Kanak, à partir des rudiments de langue qu’elle maîtrisait, mettant au point des méthodes nouvelles de lecture et d’écriture à l’aide de lettres mobiles.
Je reviendrai !
En 1878, elle prend fait et cause pour le soulèvement d’Ataï, quand nombre de déportés n’hésitent pas à se ranger du côté de leurs anciens bourreaux.
Une fois l’ordre rétabli, le gouverneur Olry expédie les têtes coupées des chefs rebelles à Paris pour l’Exposition universelle. Les vaincus sont vendus comme esclaves à des négriers. Un demi-millier de Kanak sont ainsi transportés sur les côtes du Chiapas pour connaître le servage des peones tzotziles ou tzeltales, où ils seront décimés par une épidémie de vérole.
Quelques mois avant que Jules Ferry – père de l’école républicaine mais également chantre du colonialisme français – ne proclame ses lois scolaires, l’exemple de Louise Michel se dresse comme un contre-modèle éducatif, inspiré des idéaux pédagogiques de la Commune, où l’instruction – considérée comme un outil d’émancipation et non de domestication - s’acquiert dans le respect des cultures opprimées.
La communarde a fait don aux insurgés kanak de la fameuse écharpe rouge qu’elle arborait sur les barricades. « Je reviendrai ! », leur promet-elle, depuis le pont du navire la ramenant vers la France. Faut-il alors voir dans l’aventure des Écoles populaires kanak (EPK), un lointain écho aux rêves de la grande citoyenne ?
Kanak, kabyles et Communards : l'impossible dialogue des insurgés
Dans les prisons métropolitaines où ils attendent leur déportation d’abord, puis en Nouvelle-Calédonie ensuite, les insurgés parisiens côtoient les insurgés kabyles de 1871, protagonistes d’un des plus grands soulèvements d’Algérie contre le pouvoir colonial qui réunit jusqu’à un tiers du territoire derrière la famille Mokrani et la confrérie des Rahmanyia.
Concordance des dates, velléité d’autodétermination, similarité des peines (comme les communards, certains insurgés kabyles sont jugés comme criminels de droit commun et exécutés, les autres déportés… sans leurs familles cette fois) : certains commentateurs parisiens, tel Jean Allemane, ne tardent pas à s’identifier à leurs codétenus : « J’appris que les arrivants étaient comme moi des vaincus, et qu’ils étaient traités de la même façon : les conseils de guerre algériens avaient rivalisé de zèle avec ceux de Versailles. […]La nuit approchait ; sombres et silencieux, les vaincus d’Algérie et les vaincus de la Commune assis côte à côte pensaient à ceux qu’ils aimaient, à l’effondrement de leur existence, à l’anéantissement de leur rêve de liberté ».
Certains deviennent adversaires au jeu de dames, d’autres, à l’image d’Eugène Mourot et d’Azziz ben Cheikh el-Haddad, amis d’une vie. Au contact des Kabyles, ces communards « viscéralement « patriotes » et pour qui le bien-fondé du projet colonial ne fait pas vraiment question » se font plus critiques de la politique coloniale de la France : « Ce qu’ils me racontaient au sujet des exactions et des vols dont ils n’avaient cessé d’être victimes me bouleversait d’indignation et de honte pour notre pays ».
Pourtant, cette remise en question de la colonisation ne semble pas, ou très marginalement, englober la question kanak. Communards et révoltés Kabyle iront même jusqu’à lutter au côté de l’administration française lorsqu’il s’agira d’écraser la grande révolte kanak de 1878.
À l’inverse des sentiments fraternels que les déportés parisiens développèrent pour leurs camarades algériens, c’est au mieux de l’indifférence, au pire du mépris, que leur inspirent leurs voisins kanak. Comme les autres Européens de leurs temps, les communards sont imprégnés des théories racistes des anthropologues et explorateurs qui faisaient des Kanak des « préhistoriques sans Histoire ».
De plus, depuis l’annexion à la France, les Kanak multiplient les actes de résistance contre les colons, dont une majorité sont rappelons-le d’anciens bagnards. Parallèlement à cette résistance – qui vient perturber les projets d’expansion de la colonie – les privations, les maladies et la démoralisation progressive due aux spoliations foncières engendrent une mortalité telle chez les Kanak que de nombreux commentateurs de l’époque prédisent la disparition prochaine de leur culture et de ses derniers représentants. Certains idéologues français voient alors dans l’anéantissement à moyen terme de la population kanak l’aboutissement naturel du processus colonial. Parmi les déportés dont les contacts avec les Kanak restent extrêmement marginaux, peu trouvent à y redire.
Louise Michel est la première à mettre sur le marché éditorial en 1885, une littérature kanak.
Pour la plupart anticléricaux convaincus, les communards jugent par ailleurs très durement les convertis kanak, à l’image de Francis Jourde, qui dit des Kouniés de l’île des Pins : « Une nombreuse population se groupe autour de l’établissement religieux dont elle est devenue l’aveugle et soumise esclave ».
Surtout, à partir de 1876, avec l’arrivée à la Chambre des députés d’une majorité républicaine, l’espoir d’une amnistie générale des anciens insurgés est dans toutes les têtes. Après cinq ans de bagne, les anciens insurgés savent ce que coute de remettre en question la souveraineté de l’Etat français. Alors, lorsqu’en 1878 une grande sècheresse et le projet d’établissement d’un nouvel établissement pénal déclenchent l’embrasement d’un territoire déjà sous tension depuis la mise en place de réserves deux ans plus tôt, c’est tout naturellement que communards et Kabyles viennent grossir les rangs de leur ancien oppresseur pour mater la rébellion.
Le meneur kabyle Bou Mezrag el-Mokrani propose ses services au gouverneur de Nouvelle-Calédonie et « avec une petite troupe d’Arabes [sic.] libérés, déportés ou condamnés, dont on lui donna le commandement, il servit d’éclaireur [aux soldats français] ».
Le Communard Jean Allemane, qui quelques années plus tôt écrivait sa solidarité envers les insurgés kabyles, dépeint des révoltés kanak « cannibales » et « aux passions bestiales ». Un de ses camarades raconte : « À la presqu’île Ducos, nous pensâmes qu’en présence de l’insurrection canaque [sic.] il était de notre devoir de ne pas nous endormir dans un lâche sommeil et de défendre le gouvernement français. L’un des nôtres Rousseau père écrivit au gouvernement une lettre dans laquelle il proposait de se mettre à la tête d’un certain nombre de camarades et d’aller combattre les sauvages ».
Un autre encore, ironie du sort qui ne plaira pas à ses camarades, propose que les rebelles kanak soient… déportés dans quelques possessions françaises en manque de main-d’œuvre. De son côté, Louise Michel prend faites et causes pour l’Insurrection kanak. Elle est l’une des seules.
Dans ce revirement de l’Histoire qui fit des insurgés de 1871 le bras armé de la répression de 1878, il est difficile de déterminer quelle part relève de la conviction politique et quelle part du calcul personnel en vue de l’obtention d’une grâce. La vérité se trouve sans doute quelque part entre les deux. Des grâces individuelles commencent en effet à être accordées aux déportés politiques. L’amnistie générale des communards sera finalement votée en 1880, celle des Algériens, quinze ans plus tard. Dans l’intervalle, Louise Michel, de retour en métropole, publie en souvenir de ses années calédoniennes Légendes et chansons de gestes Canaques.
Margot Duband
Pour l’association CASOAR