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JUIN 1883, JUGEE PAR LA COUR D'ASSISES DE LA SEINE

Au Havre  dimanche 22 janvier 1888, Louise est victime d'une tentative d'assassinat

LA CONFERENCIERE

Louise Michel vend ses interviews à la Presse réactionnaire

 

Figure incontournable du mouvement anarchiste français, Louise Michel s'exprime par ses écrits avec un talent indéniable (poésies, articles, romans, pamphlets...). Étroitement surveillée par la police, elle est arrêtée à plusieurs reprises pour ses participations à des manifestations ou des meetings insurrectionnels.

L'âge venu, elle repart inlassablement, à chacune de ses sorties de prison, pour de longues tournées de conférences à travers la France et le monde. 

 

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En Nouvelle-Calédonie, Louise Michel côtoya des Algériens qui y furent envoyés après les insurrections de 1871 en Kabylie. Ils sympathisèrent. Et elle leur promit de leur rendre visite dans leur pays dès que cela serait possible. Louise Michel n'avait qu'une parole. Louise Michel et Ernest Girault se rendirent en Algérie quelques décennies plus tard, d'octobre à décembre 1904. Un voyage militant car ponctué de plusieurs dizaines de conférences dénonçant les religions, le militarisme, l'oppression et l'exploitation coloniale..., et appelant à la révolution sociale. Et, ce, en faisant salle comble à chaque fois. 

La grande figure de la Commune est venue animer deux conférences dans une même journée.

L’une se tient l’après-midi, au théâtre de la Gaieté et a pour thème : Le Capital - Le Travail - La Misère  ; l’autre se déroule le soir, à la salle de l’Elysée, et a pour objet  : Les scandales du jour - L’Idée révolutionnaire.

Il est deux heures de l’après-midi, Louise apparaît au théâtre de la Gaieté. La salle est comble environ 2000 auditeurs. Louise ouvre la séance et attaque le gouvernement : « Mais peut-on donner ce nom à un ramassis de dupeurs, de voleurs ? ». Il y a, dans la salle, des protestations, des coups de sifflets. « Eh quoi, continue Louise, refuserez-vous ces épithètes aux gens qui ont fait l’expédition du Tonkin, et toutes ces opérations véreuses qui s’y rattachent : trafic de décorations de Wilson, le gendre de Mr Grévy...Il faut que la société se renouvelle, et nous voudrions que ce ne fut pas dans le sang. C’est par la paix et le travail que nous voudrions l’atteindre. Mais si les bourgeois ne veulent pas être avec nous, la Révolution qui est inéluctable, se fera contre eux. Elle se fera avec nous, avec vous ou contre vous. Choisissez ».

Tandis que le meeting prend fin, un Breton, Pierre Lucas, tire à bout portant sur la conférencière qui s’en tire avec une blessure au temporal gauche et au lobe de l’oreille.

Pourquoi ce travailleur breton a-t-il tiré sur Louise Michel ?

Cette dernière ne manifeste aucune colère contre son agresseur et demande même sa libération immédiate considérant qu’il a agi sans discernement. Elle ajoute à ce sujet : « Et si cela tardait trop, je retournerais au Havre et cette fois ma conférence n’aurait d’autre but que d’obtenir cette mesure de justice, toute la ville y serait ».

Pierre Lucas, ce déraciné, était-il un fanatique religieux, un illuminé, un alcoolique ?

Les réactions à la suite de cet attentat sont nombreuses et l’affaire a un retentissement national étant donné la personnalité de la victime…

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Voir ici l'excellente pièce

de Patrice Rannou

Estimant que son agresseur relevait davantage de la médecine que de la justice, Louise ne portera pas plainte. Elle vivra le restant de ses jours avec une balle logée dans le cerveau

Lucas n’avait  jamais mis les pied, de sa vie,  dans un réunion publique, lorsqu’il s’avise, le 22 janvier, pris de curiosité, d’aller voir ceux qu’on lui présentait comme des ennemis du genre humain, à la salle de la Gaieté.

Lucas est d’abord étonné d’entendre ces choses si simples auxquelles il n’avait jamais pensé. Puis des gens, probablement peu enclins de sympathie avec ces théories, expliquent autour de lui que c’est la femme qui est la cause de tout le mal et qu’il faut la foutre à l’eau ! que la conférencière s’enrichit à ces réunion … Ces choses, confusément, troublent son esprit. D’autres hommes finissent de l’halluciner de leurs propres illusions. Si bien qu’à la sortie de la salle de la Gaieté, il va acheter un revolver qu’il paie 12 ou 15 francs. Il rencontre des amis avec qui il trinque, s’enivrant bien plus de paroles que de vin.

Lucas se rend à la salle de l’Élysée, à huit heures, pour la deuxième réunion. Il est dans un demi somnambulisme naturel.

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Cette salle de l’Élysée contient deux mille personnes : sympathisants, contradicteurs, badauds, curieux se sont massés là pour entendre Louise Michel. Cette salle est située au fond d’une cour plantée d’arbres, rue de Normandie. Il y a même un restaurant champêtre.

Louise s’avance sur scène et parle sans éclat de voix d’une manière impersonnelle : « Le capital doit disparaître car les usines ne sont rien s’il n’y a pas d’ouvriers. Il faut que nous sortions de l’auge où chacun se pousse du coude. Nous y arriverons par l’instruction que les humbles et les pauvres ne peuvent avoir aujourd’hui ». Elle dénonce les guerres, surtout coloniales, où on y entraîne les soldats au vol et à l’assassinat.

Ces paroles frappent Lucas comme une sorte de blasphème et dans la chaleur de cette salle, son cerveau continue à se troubler. Les contradicteurs se montrent. Elle a raison, elle a tort … D’autres lui demandent où vont les bénéfices de ses conférences ? « Vous le savez, ils vont aux pauvres, aux caisses de grèves, au mouvement anarchiste ».

Tout à coup, un homme surgit à la tribune, grand, vêtu de noir d’une pâleur tragique (Source : E. Thomas).

L’un des contradicteurs, alors que Louise parle encore, monte à la tribune. Il a l’air embarrassé de lui, ce colosse qui, grave, se pose devant la conférencière. Vêtu sobrement, tout de noir, il porte une trentaine d’années. Il a l’œil noir et son visage est d’une extrême pâleur (Source : "Le petit Le Havre" – Archives municipales).

Un homme demande la parole qui lui est accordée. Il monte à la tribune. C’est un homme grand, au visage régulier et doux, comme emprunt de douleur et de rêve, tellement que je dis aux amis près de moi : "Cet homme a le masque tragique" (Source : "Histoire de ma vie" – Louise Michel). Là, Lucas essaya de parler, le fit d’une façon incohérente : « Je ne vous parlerai pas dans un français rectal (de recteur veut-il dire sans doute). Je suis ni un voleur ni un assassin. Je suis breton ». Louise se tourna vers le banc de la presse et dit : « Je n’y comprends rien ». Nous non plus répondent les journalistes.

On fait asseoir Lucas, ce qu’il fait simplement, et la réunion continue. « Tout à coup l’on entend une détonation. Je sens une brûlure à l’oreille. Lucas est debout derrière moi, tenant son revolver comme l’aurait tenu un enfant de deux ans. Tout le monde est debout. Alors je dis à la foule : « Ce n’est rien. C’est un imbécile qui a tiré à blanc ». Pendant ce temps, Lucas tire sur l’autre oreille où je ne sens encore qu’une brûlure » (Source : "Histoire de ma vie" – Louise Michel).

Qu’en est-il exactement ? : Lucas a tiré deux balles, l’une s’est logée dans le temporal gauche, l’autre dans la doublure de son chapeau.

Louise Michel reçoit les premiers soins du docteur Malherbe, puis du docteur Lignerolles qui essayent, en vain, d’extraire la balle. Elle ne manifeste aucune colère contre son agresseur. Louise rentre à Paris (Levallois) malgré l’avis des médecins.

Son médecin de Levallois, n’ayant pu extraire la balle non plus, l’envoya au docteur Labbé à l’hôpital Baujon. Ce dernier a, pour principes, de n’extraire les balles que si elles se présentent d’elles-mêmes. Il décida de ne pas tenter l’intervention. Il est fort probable que Louise garda toujours cette balle dans sa tête. Elle récupéra l’autre balle et en fit cadeau à Rochefort accompagnée de ce mot : « Souvenir de la balle à l’oreille coupée trouvée dans mon chapeau ».

« Lucas, quant à lui, est lynché par les amis anarchistes de Louise. Son visage garde encore la trace de cette juste correction que lui ont infligé les témoins de son forfait ». (Source : "L’Intransigeant").

Le rapport de police en date du 23 janvier transmis à M. Heu, commissaire principal, relate l’incident : « Le nommé Lucas, qui se trouvait derrière Louise Michel se lève et lui décharge, à bout portant, deux coups de revolver dont un l’atteint derrière l’oreille gauche. Le sus-dit Lucas a été immédiatement arrêté et conduit au poste à la disposition de la justice. La balle n’a pas pu être extraite. Malgré cela Louise MICHEL est repartie ce matin pour Paris au train de 6H40 ».

Bien que Louise Michel ne porte pas plainte, une enquête est ouverte. L’agresseur se nomme Pierre Lucas. Il est né à Guerlesquin (Finistère) le 17 février 1855, époux de Marie Yvonne née Le Bars, âgée de 29 ans, couturière. Le couple a un fils. Ils habitent 12 rue de la Communauté (aujourd’hui rue Masurier. Que dit-il ? « Si je l’ai frappée, c’est que cette idée m’est venue dans la tête. J’étais exaspéré ». « J’avais bu beaucoup et je n’ai pas compris ce qu’on disait. Je n’ai pas l’instruction nécessaire ».

Louise Michel déclare tout de suite au procureur que l’agresseur relève plutôt de la médecine que de la justice. L’irresponsabilité de Lucas, c’est ce qu’elle persiste à déclarer au juge chargé, par la commission rogatoire, de venir l’interroger à Levallois.

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Comme il est inadmissible que votre mari ait agi avec discernement, il est impossible qu’il ne vous soit pas rendu …

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Louise Michel déclare tout de suite au procureur que l’agresseur relève plutôt de la médecine que de la justice. L’irresponsabilité de Lucas, c’est ce qu’elle persiste à déclarer au juge chargé, par la commission rogatoire, de venir l’interroger à Levallois.

 

A la suite de cet attentat, quelles sont les réactions ?

Le Petit Havre : « Lucas, c’est un honnête travailleur. Son défaut : boire un peu plus qu’il ne convient. Quel mobile l’a poussé . ? toute la ville se pose la question. A vrai dire, personne ne peut répondre. »

Le Cri du Peuple : « Lucas est un prolétaire, un ignorant, un fanatique. L’acte qu’il a accompli ne peut inspirer que pitié. »

La République française : « Ce n’est pas au docteur Blanche (aliéniste) qu’il faut envoyer Lucas, c’est à la cour d’assises que nous persistons à vouloir envoyer les assassins, alcooliques ou non. »

L’Intransigeant : « Comment soutenir qu’il n’y a pas eu préméditation alors que Lucas est allé chercher un revolver quelques heures avant ? La préméditation d’assassiner Louise Michel paraît évidente. »

L’Intransigeant encore : « La tentative d’assassinat contre Louise Michel, après celle contre J. Ferry (qui se croyait mort alors qu’il n’avait eu ni ecchymose ni contusion) montre à quel point la violence est entrée dans nos mœurs. »

L’Autorité demande « l’interdiction de la vente des armes à feu. »

Le Petit Journal titre : « L’abus du revolver ». On perd de plus en plus le respect de la liberté, de la personnalité, de la vie humaine ».

Dans les milieux anarchistes, on pense que Lucas est un agent secret de la préfecture de police chargé de débarrasser la société de Louise Michel – ou bien des orléanistes dont la propagande, en Normandie, est des plus actives.

Louise Michel écrit à la femme de Lucas : « Apprenant votre chagrin, je désirerais vous rassurer. Comme il est inadmissible que votre mari ait agi avec discernement, il est impossible qu’il ne vous soit pas rendu … ». Elle répond à Lucas qui lui a écrit de la prison du Havre : « Votre lettre m’a fait grand plaisir ; elle prouve, une fois de plus, que nous avons raison de vous considérer comme halluciné, et par conséquent, comme ne pouvant être jugé … »

Elle ira jusqu’à écrire un poème intitulé « Le Breton » dont voici quelques vers :

« … Ce fils des côtes d’Armorique, des côtes où hurle la mer, s’en allait songeur et mystique … Qu’il reste libre dans son ombre, pour lui nous n’avons pas de loi … ».

Louise Michel charge maître Laguerre (qui avait défendu son cousin à Lyon) de défendre Lucas. Il lui promet de sauver Lucas et tint parole. Non seulement le public, nombreux à la salle d’audience mais tous les journaux, accueillent comme un acte de véritable équité l’acquittement de Lucas.

Le journal du Havre du 17 janvier 1890 : « Nous apprenons la mort d’un individu qui a eu au Havre, et même à Paris, son heure de célébrité, nous voulons parler de Pierre Lucas qui avait tiré un coup de revolver sur Louise Michel dans la salle de l’Élysée. Pierre Lucas qui était âgé de 35 ans, avait été acquitté par la cour d’assisses. Il était entré, pour la seconde fois, à l’hospice général le 4 janvier dernier. Il est décédé hier matin à 4 heures des suites d’une phtisie. »

Louise Michel n’en n’avait pas fini avec Le Havre. Elle y revient le 30 mai 1897 accueillie par une foule de mille personnes qui l’acclame aux cris de : « Vive Louise Michel, vive la Révolution ». Elle y reviendra une dernière fois, le 28 mai 1904, déjà très atteinte par une grave maladie. Le 22 janvier 1905, à ses obsèques, une délégation d’anarchistes havrais sera présente au cimetière de Levallois.

Au Havres lors d'une conférence, Louise est victime d'une tentative d'assassinat

Lassée par les calomnies et le manque de liberté d’expression, Louise Michel s’installe à Londres en 1890 où elle gère une école libertaire. A la demande de Sébastien Faure, elle revient en France en 1895. Arrêtée à plusieurs reprises lors de manifestations, elle est condamnée à trois ans de prison avant d'être libérée sur l'intervention de Clemenceau.

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