Monsieur le pauvre à Montmartre
Le tableau de Santiago Rusiñol, peint en 1890, montre dans sa chambre un Satie naturellement découragé assis près d'une grille de cheminée désespérément vide : "au coin de mon froid", comme il le nommait. Erik Satie dormait sur un lit fait maison composé de trois planches montées sur un tréteau et ne possédait pas de piano. C'est pourtant dans ces conditions spartiates qu'il composera, dans sa tête, les Gymnopédies et les Gnossiennes. Pour se donner le plaisir d'entendre sa musique, il avait l'habitude d'aller la jouer chez ses amis ou sur le piano du Chat Noir.
« Je vis dans un placard, au coin de mon froid ! »
Ecoutez Pièces Froides
Il y composa "les Pièces froides"...de circonstance
« Sans le sou, mes rêves sont de bûche, de feu, de chaleur…»
Erik Satie, "né trop jeune dans un monde trop vieux", un monde qui était "trop harmonique" pour accepter sa musique décapante, ses compositions atonales, ses bémols audacieux.
Dès qu'il le put, Satie quitta le domicile familial, probablement en décembre 1887. Avec 1 600 francs de son père, il loua une grande chambre au 50 rue Condorcet, à Paris 9, tout près du cabaret du Chat Noir, où il fut rapidement embauché comme chef d'orchestre. Rue Condorcet, Satie avait certainement de la place pour un piano, car le 20 juillet 1889, il fit une annonce en tant qu'"ancien élève du Conservatoire" pour que des élèves participent à des cours de piano à son domicile.
Au début de 1890, cependant, des circonstances financières difficiles contraignent Satie à déménager dans une chambre plus petite au deuxième étage du 6 rue Cortot, sur les hauteurs de la Butte Montmartre, et "hors de portée de ses créanciers". C'est là, entouré seulement d'un "banc, d'une table et d'un coffre", que ses compositions Rose-Croix ont émergé, notamment les neuf Danses gothiques écrites entre le 21 et le 23 mars 1893 "pour le plus grand calme et la plus grande tranquillité de mon âme " au cours de sa brève et tumultueuse liaison avec sa voisine, la peintre Suzanne Valadon.
Possédait-il un piano rue Cortot ?​
Les conditions domestiques spartiates de Satie n'étaient guère plus propices à la romance qu'à la composition, mais par temps clair, il prétendait pouvoir voir jusqu'à la frontière belge depuis sa fenêtre. Il dormait sur un lit fait maison composé de trois planches montées sur un tréteau, et le tableau de Santiago Rusiñol de la chambre en 1890 montre un Satie naturellement découragé assis près d'une grille vide, "au coin de son froid" comme le dit Satie. Les récits varient quant à savoir si Satie a emporté son piano avec lui dans la rue Cortot.
Satie composait entièrement de tête
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Il avait l'habitude d'aller chez ses amis pour se donner le plaisir d'entendre sa musique autrement que dans sa tête après ses longues et studieuses séances de composition dans ses chambres.
C'est ainsi que les Gymnopédies et les Gnossiennes me furent révélées, et j'étais présent lorsqu'il joua ses premières esquisses pour Le Fils des étoiles ".​ Satie composait entièrement de tête et rien ne prouve qu'il ait jamais révisé une composition pour la rendre plus pianistique. Il importe donc moins qu'on ne l'imagine qu'il ait eu un piano ou non.
Il a peut-être utilisé cet instrument pour explorer des progressions d'accords et il semble avoir eu envie de jouer des œuvres devant des amis, mais la seule trace de son utilisation d'un piano pendant la composition date de 1924. Il s'agissait probablement plus d'essayer des passages complets de Relâche que de composer au piano à la Stravinsky. Bien qu'il ait dû avoir une technique raisonnable, ses années désagréables au Conservatoire l'ont amené à jouer le moins possible du piano par la suite. Aucune impression d'artiste de sa chambre dans les années 1890 ne révèle un piano et la seule photo de Satie jouant à cette époque le montre à l'harmonium : un instrument qu'il préférait probablement et pour lequel ses sonorités en forme de bloc pour Uspud ont peut-être été conçues en 1892.​
6 Rue Cortot à Montmartre
En juillet 1896, de nouveaux déboires financiers obligent Satie à s'installer dans une pièce encore plus petite, au 6, rue Cortot, pour laquelle il paye son propriétaire 20 francs par trimestre au lieu de 35. Cette minuscule pièce du rez-de-chaussée, Satie l'appelait le "placard" — ou ironiquement "Notre Abbatiale" — lorsqu'il promulguait ses édits en tant que "parcier" autoproclamé de l'Église métropolitaine d'art. Elle mesurait à peine 1,80 m sur 1,40 m et mesurait 2,70 m de haut, avec seulement une minuscule lucarne triangulaire pour l'éclairer. Il n'y avait pas de place pour un piano, et le lit et le coffre de Satie empêchaient même la porte de s'ouvrir : en effet, les visiteurs que Satie autorisait à entrer dans la pièce devaient enjamber le lit pour y entrer. Mais Satie emportait toujours avec lui ses portraits de Zuloaga, du comte Antoine de La Rochefoucauld, de Marcellin Desboutin, de Georges de Feure et de Valadon, et accordait une place de choix au miroir doré que l'on peut voir dans le tableau de Rusiñol. ​​​
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C'est dans ces circonstances que furent écrites ses Pièces froides
(dont le titre n'était en aucun cas inapproprié).
La nuit, Satie entassait tous les vêtements qu'il avait sur sa couverture pour se tenir chaud, et restait habillé jusqu'à ses bottes. Il ne semble même pas qu'il y ait eu de place pour la table de Satie, mais il a quand même fait l'essentiel de sa composition ici, car "l'une des étagères lui servait de bureau et d'autel" pour son Église métropolitaine. Il est compréhensible qu'il ait peu écrit pendant cette période (1896-1898), ​
Alors que Satie pouvait en réalité composer n'importe où, la majeure partie de ses compositions avant son déménagement à Arcueil semble avoir été réalisée chez lui dans les années 1890, les visites à des amis lui offrant un divertissement vital et un endroit pour discuter de ses travaux en cours.
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Il composa également dans la maison parisienne de son ami Henry Pacory au tournant du siècle, et en 1904-05, il composa chez Louis Lemonnier à Honfleur, en utilisant le piano à queue Erard qu'il avait aidé son ami à choisir.
Mais en 1898, Satie sait que les tentations de la vie de bohème à Montmartre entravent sa carrière de compositeur et il ressent le besoin de "se retirer complètement" et de prendre un nouveau départ.
Et ce sera Arcueil !​
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